L’assignation, le bon calcul des franchiseur ?
C’est généralement un mauvais calcul car les juges ne sont pas dupes d’une telle stratégie.
La ficelle est trop grosse.
La cour d’appel de Paris l’a fermement rappelé dans deux arrêts remarquables rendus le 10 mai 2023.
Dans les deux cas, le litige opposait un franchiseur du secteur de la construction de maisons individuelles à un ancien franchisé.
Pour parer à l’action judiciaire que l’ex-franchisé menaçait d’intenter, le franchiseur avait imaginé plusieurs griefs et saisi le tribunal afin de demander des sommes mirobolantes sans fournir la moindre preuve tangible de ses allégations.
Éconduit en première instance, il n’avait pas hésité à interjeter appel.
En pure perte néanmoins.
Non seulement son appel est sévèrement rejeté, mais ce franchiseur est condamné pour abus du droit d’agir en justice, ce qui n’est pas si fréquent.
Trois leçons peuvent être tirées de ces deux décisions, dont la riche motivation est de nature à refréner la témérité d’autres franchiseurs.
La première leçon porte sur la preuve de ses griefs.
De fait, le franchiseur invoquait à chaque fois des griefs purement factices, fabriqués pour les besoins de sa cause, sans aucune véritable pièce justificative. Dans les deux affaires, ses reproches étaient d’ailleurs identiques, stéréotypés. En somme, il invoquait certaines clauses du contrat de manière incantatoire, purement formelle.
A l’inverse, l’ancien franchisé versait dans les deux cas de nombreuses attestations établissant qu’un nombre important de clients se plaignaient de problèmes de conception (erreurs engendrant des surcoûts, non-respect des qualités convenues avec les clients), de problèmes de construction (malfaçons et dysfonctionnements, matériaux utilisés défectueux, interruption de chantier, personnel non qualifié, retards constants, absence d’informations) ainsi que de problèmes de gestion.
Il est heureux que des juges prennent la mesure de l’amateurisme dans un secteur si crucial ! La construction de maisons individuelles est en crise. Impossible de laisser perdurer des pratiques qui ruinent des vies, sacrifiant la qualité sur l’autel de l’argent facile.
La deuxième leçon a trait aux clauses restrictives de concurrence qui sont encore hélas trop systématiquement stipulées dans les contrats de franchise.
La cour d’appel le rappelle avec force : « une clause de non-concurrence, en ce qu’elle porte atteinte au principe de la liberté du commerce, doit être justifiée par la protection des intérêts légitimes de son créancier (quant à la protection du savoir-faire transmis et à la faculté de concéder à un autre franchisé la zone d’exclusivité concernée) et ne pas porter une atteinte excessive à la liberté de son débiteur, c’est-à-dire être limitée quant à l’activité, l’espace et le lieu qu’elle visite. Elle doit de surcroît, au regard de la mise en balance de l’intérêt légitime du créancier de non-concurrence et de l’atteinte qui est apportée au libre exercice de l’activité professionnelle du débiteur de non-concurrence, être proportionnée. Elle ne doit donc pas porter une atteinte disproportionnée aux intérêts du débiteur, outrepassant la nécessaire protection du savoir-faire du créancier ».
C’est donc à juste titre que la cour a annulé la clause stipulée dans les contrats aux motifs qu’elle s’avérait tout à la fois trop étendue dans l’espace et dans le temps, mais aussi disproportionnée dans la mesure où elle interdisait pendant un an après la cessation du contrat la poursuite de toute activité de construction de maisons individuelles alors même que l’activité et le savoir-faire du franchiseur se limitait à la construction très spécifique de maisons individuelles en prêt-à-finir.
Enfin, la troisième leçon concerne l’abus du droit d’agir en justice.
Souvent invoqué, il est rarement caractérisé. Au cas particulier, la cour d’appel retient toutefois trois éléments afin de stigmatiser l’abus du franchiseur : d’une part, celui-ci formulait ses demandes à l’encontre de la société franchisée et de ses associés, sans aucun fondement juridique, à seule fin de faire pression sur lesdits associés donc ; d’autre part, la rupture du contrat avait été causée par les manquements graves et répétés du franchiseur qui, de son côté, n’établissait aucun manquement précis à l’encontre de ses anciens partenaires ; enfin, le franchiseur ne versait véritablement aucune preuve aux débats.
Bref, son dossier était vide, de sorte que son action correspondait à une forme d’instrumentalisation de la justice.
C’est ainsi fort logiquement que la cour condamne le franchiseur à verser aux ex-franchisés une substantielle indemnité au titre des frais d’avocat qu’ils ont dû engager afin d’obtenir justice : 20.000 € au total tout de même !
Le droit n’est pas une arme, il est le moyen d’obtenir justice.
A ceux qui ont tendance à l’oublier, ces deux décisions le rappellent très utilement.