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Le poids du réseau en temps de crise

En temps de crise, l’appartenance à un réseau est tout à la fois une chance et un risque. Un bref retour sur expérience permet d’en tirer d’utiles leçons pour l’avenir.

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Conclure un contrat de franchise

Conclure un contrat de franchise, ce n’est pas seulement s’engager à l’égard d’un franchiseur. L’acte vaut également affiliation à un réseau dont la dimension collective soulève des questions pratiques essentielles. En temps de crise, sanitaire ou autre, le poids du réseau est susceptible d’en faire un appui solide au profit de chacun de ses membres.

C’est toujours la même idée : l’union fait la force et la solidarité est souvent payante. Les franchisés d’une même enseigne ont raison de se sentir mieux armés que d’autres entrepreneurs plus isolés. Ne serait-ce que parce qu’une crise justifie certaines obligations à la charge du franchiseur chargé de piloter le navire. Encore faut-il se garder de tout angélisme : ce poids du réseau peut également s’avérer fort lourd, voire handicapant. Il peut être à l’origine de différents litiges.

Si le réseau est fondamentalement un appui appréciable en temps de crise, il est aussi potentiellement un redoutable ennemi.

Le réseau doit être un appui

Il y a au moins deux raisons. D’une part, l’appartenance à un réseau créé nécessairement plus de coopération ; d’autre part, elle fonde des devoirs particuliers à la charge du franchiseur.

La coopération des franchisés

Le réflexe est assez naturel : dès l’apparition d’une crise dans un réseau, les énergies font masse pour faire face. Les franchisés savent bien qu’il leur faut jouer collectif. Il s’agit de mettre en commun ses expériences et de mettre en place un véritable laboratoire d’idées. Chacun doit pouvoir librement exprimer sa compréhension de la situation, sa manière d’envisager l’avenir, ses idées quant aux mesures à mettre en place, ses difficultés, etc.

Le dialogue est une construction qui participe de l’efficacité d’un réseau de franchise en général. Il en va donc à plus forte raison ainsi dans une période de crise aigüe. L’épidémie du covid-19 a eu au moins cet avantage d’y avoir sensibilisé les acteurs du monde de la franchise. Dans de nombreux réseaux, les franchisés ont rivalisé d’imagination afin de se serrer les coudes. Les nouvelles technologies ont favorisé les visio-conférences, les groupes de discussion et autres modes de communication qui ont été autant de laboratoires d’idées et de plateformes d’échanges et d’assistance mutuelle.

A cet égard, les franchisés du réseau de restauration Poivre Rouge ont été exemplaires. Tous ont immédiatement compris l’intérêt de se transmettre régulièrement les informations relatives à l’obtention des aides, à la mise en place du chômage partiel, aux assurances afin d’amortir les effets de la crise. Tous se sont également mis en rang afin de préparer le dé-confinement en adaptant leur carte, leur stock et leurs approvisionnements à la nouvelle donne sanitaire. Alors même que le concept reposait sur la tenue d’un buffet devenu impossible avec les règles de distanciation sociale, ils ont trouvé des solutions originales afin de tenir bon.

Les franchisés ne peuvent pas compter uniquement sur le franchiseur, ils doivent aussi faire confiance à la force que leur groupe est lui-même susceptible de libérer.

Les obligations du franchiseur

Le franchiseur est un rempart contre les offensives menées contre le réseau qu’il a mis en place. Que ces offensives viennent de la concurrence ou d’une autre cause, il a l’obligation de réagir. A plus forte raison en temps de crise ! A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Le franchiseur doit faire preuve d’imagination. Au-delà des clauses qui organisent des réunions ponctuelles, il lui faut mettre en place une cellule de crise et s’adapter. Même lorsque les points de vente font l’objet d’une fermeture administrative, des actions de communication peuvent être mises en place afin de montrer la pugnacité, la solidarité du réseau. Certaines enseignes de la restauration rapide ont ainsi diffusé la vidéo de leur arrière-cuisine en montrant sur un ton humoristique toutes les précautions sanitaires prises pour la vente à emporter.

Le réseau peut être un ennemi

A chaque médaille, son revers. La logique du nombre peut être une force, mais elle implique aussi une discipline dont les pesanteurs sont parfois très présentes. Au reste, elle n’empêche pas l’opportunisme de certains franchiseurs. Les inconvénients d’appartenir à un réseau en temps de crise sont ainsi tout à la fois structurels et ponctuels.

Des pesanteurs à surmonter

Le réseau est une organisation qui exige une certaine homogénéité. Or celle-ci justifie l’édiction de règles communes. Pas question de le remettre en cause bien sûr. Il n’empêche : l’indépendance des franchisés s’en trouve parfois compromise dans des conditions discutables. Certaines têtes de réseau ont ainsi imposé de fermer leur point de vente à l’ensemble de leurs franchisés, pour toutes leurs activités, alors même que certaines de ces activités ne faisaient l’objet d’aucune interdiction administrative. Un commerçant exerçant de manière isolée disposait d’une souplesse plus grande afin d’aménager son activité au besoin. C’est vrai ne serait-ce que pour la communication. Alors que la plupart des contrats de franchise imposent aux franchisés l’autorisation du franchiseur pour la moindre campagne de publicité locale, le commerçant isolé est seul maître à bord.

Un opportunisme à surveiller

Certains franchiseurs sont parfois tentés de profiter d’une crise afin d’adopter des mesures résolument contraires aux intérêts de leurs franchisés. Un tel opportunisme est alors une source inévitable de conflits. Deux exemples suffiront à illustrer le propos : s’agissant de la facturation des redevances d’une part, de la commercialisation par internet d’autre part.

Facturation des redevances

Sur la facturation des redevances, il faut le reconnaître : de nombreux franchiseurs ont pris la mesure de la crise liée à la propagation du covid-19 et dispensé leurs franchisés d’avoir à régler leurs redevances de franchise pendant le confinement. D’autres, néanmoins, ont fait preuve d’une rigueur coupable. La question se pose ainsi de manière générale, à défaut d’accord entre les parties : le franchisé est-il tenu de continuer à verser ses redevances lors d’une période de crise ? On dira que la question est beaucoup trop générale. Il faudrait distinguer selon la nature de la crise considérée. Évidemment. Tout dépend aussi du type de franchise et de redevance considérées. La question ne se pose en effet qu’à propos des entreprises dont l’activité est considérablement gênée par les mesures liées à la crise. Les franchisés de la grande distribution alimentaire, par exemple, ne peuvent décemment pas se prévaloir d’une baisse d’activité liée au covid-19.

Quant aux redevances, un traitement différent doit probablement être réservé aux redevances d’enseigne, d’assistance et de publicité. La fermeture des points de vente d’un réseau de franchise ne fait pas totalement disparaître ce réseau. Parfois, elle n’empêche même pas toute forme d’activité, spécialement à distance. Chaque situation appelle donc un examen particulier. Sous réserve de ces remarques générales, plusieurs mécanismes juridiques peuvent, le cas échéant, être mobilisés. La force majeure qui empêche temporairement une partie de s’exécuter fonde l’autre partie à ne pas honorer ses engagements correspondants. Ainsi le franchiseur qui n’est pas actuellement en mesure de fournir une assistance ne saurait percevoir une redevance de ce chef. L’exception d’inexécution permet au débiteur d’une obligation d’en suspendre l’exécution dès lors que son cocontractant n’honore pas ses engagements ou risque fort de manquer à ces engagements. Enfin, l’imprévision ouvre plus fondamentalement la possibilité d’obtenir la révision d’un contrat, et pourquoi pas le taux d’une redevance, lorsqu’un bouleversement des circonstances rend l’exécution d’un contrat non pas totalement impossible, mais excessivement onéreuse pour l’une des parties. Chacun de ces mécanismes peut aussi être utilisé comme un levier de négociation.

Commercialisation par internet

Sur la commercialisation par internet, il est évident que l’interdiction d’ouverture subie par de nombreux commerces pendant la dernière crise sanitaire a favorisé la vente par internet. Cela bousculera-t-il les habitudes des consommateurs dans certains secteurs ? Il est évidemment trop tôt pour le dire. Il faut toutefois remarquer que certains franchiseurs peu scrupuleux ont saisi l’occasion pour investir ou développer ce canal de distribution au mépris des dispositions contractuelles et même parfois des exclusivités territoriales consenties à leurs franchisés. Cela pose à nouveau la question de la répartition des profits liés à l’exploitation d’un site marchand au sein d’un réseau de franchise, à condition que la vente en ligne ne soit pas contraire au concept lui-même. Les contrats demeurent encore trop souvent lacunaires sur ce point essentiel. Si l’on ne veut pas que les franchisés soient ravalés au rang de simples show-room, il faut impérativement prévoir des clauses leur réservant une part des profits engendrés par les ventes sur internet.