Pour une franchise Ă©quitable

La relation qu’entretient un franchisé avec son franchiseur a beau reposer sur une asymétrie liée à la position de force de ce dernier, le déséquilibre qu’elle instaure n’est souvent pas acceptable. Certaines clauses ont des effets désastreux qui ruinent des vies sans aucune justification.
 
Je suis heureuse de pouvoir ici faire entendre la voix des franchisés, au cours d’une matinée dont je remercie très sincèrement les intervenants, de telles occasions d’échange n’étant pas si fréquentes.

Naviguer dans l'article "Pour une franchise Ă©quitable"

Défendre une franchise équitable ne peut toutefois seulement passer par la dénonciation de ces clauses abusives. Cela implique aussi, positivement, la promotion de contrats équitables, ce que plusieurs cabinets d’avocats pro-franchisés s’efforcent aujourd’hui de faire en accompagnant des franchiseurs convaincus, à juste titre, que l’abus n’est pas un bon calcul et qu’un contrat de franchise équilibré est le ciment d’un partenariat pérenne

I. La dénonciation de clauses abusives

Depuis 2008, on le sait, la chasse aux clauses abusives est ouverte dans les rapports entre professionnels. Le texte a fait grand-bruit et concentre une bonne part du contentieux du droit de la distribution : c’est dĂ©sormais l’article L. 441-1, I, 2° du code de commerce, dont il suit que les clauses instaurant un dĂ©sĂ©quilibre significatif entre les droits et obligations des parties sont prohibĂ©es. Au rebours de la loi du plus fort, le lĂ©gislateur s’est ici inspirĂ© du droit de la consommation. L’idĂ©e est simple : corriger le contenu d’un contrat dont l’absence de vĂ©ritable nĂ©gociation rejaillit sur l’équilibre. Grande diffĂ©rence nĂ©anmoins : le code de commerce ne prĂ©voit aucune liste susceptible de guider le juge dans l’apprĂ©ciation du dĂ©sĂ©quilibre significatif. En pratique, il n’est pourtant pas impossible de s’inspirer du système mis en place par le code de la consommation en ses articles R. 212-1 et R.212-2. La grille de lecture est Ă©clairante qui consiste Ă  distinguer trois types de clauses. Les premières, dites blanches, sont a priori valables mais peuvent ĂŞtre contestĂ©es dans certains cas particuliers lorsque leur stipulation instaure, de fait, un dĂ©sĂ©quilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Les deuxièmes, elles, les grises, sont au contraire rĂ©putĂ©es abusives, sauf Ă  prouver qu’elles n’instaurent pas un dĂ©sĂ©quilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Ce dĂ©sĂ©quilibre s’y trouve prĂ©sumĂ©, de manière simple nĂ©anmoins. Les dernières, en revanche, font l’objet d’une prĂ©somption irrĂ©fragable, Ă©tant toujours rĂ©putĂ©es abusives. Elles sont noires. Une telle tripartition fonctionne très bien en matière de franchise, dont on peut ainsi distinguer les clauses blanches (1), grises (2) ou noires (3).

Une comprĂ©hension approfondie des types de clauses et de leur impact sur l’Ă©quilibre contractuel est cruciale pour tout entrepreneur envisageant de devenir franchisĂ©. La vigilance dans la nĂ©gociation des termes du contrat permet d’éviter des engagements qui pourraient nuire Ă  la pĂ©rennitĂ© et Ă  la rentabilitĂ© de l’entreprise.

1 – Les clauses blanches du contrat de franchise

Une clause est blanche lorsqu’elle est valable en principe, sauf à établir qu’elle instaure un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

Une clause de non-concurrence relative Ă  la pĂ©riode d’exĂ©cution du contrat ne pose ainsi pas de difficultĂ© particulière. Elle interdit au franchisĂ© d’exploiter, pendant la durĂ©e de son contrat, un fonds de commerce concurrent de celui faisant l’objet du contrat. Si le franchisĂ© l’accepte, la limite que la clause oppose Ă  sa libertĂ© d’entreprendre peut se justifier par une exigence de loyautĂ©. La clause octroyant au franchiseur un droit d’agrĂ©ment afin de s’assurer de la qualitĂ© du candidat repreneur ou un droit de prĂ©emption afin de favoriser le maintien d’un point de vente dans le rĂ©seau peut Ă©galement ĂŞtre considĂ©rĂ©e comme blanche. De mĂŞme, la clause compromissoire qui prĂ©voit de soumettre les Ă©ventuels litiges Ă  un tribunal arbitral, une justice privĂ©e donc, ne peut ĂŞtre prĂ©sumĂ©e abusive. 

Que ces clauses soient toutes valables en principe, cela n’empêche pourtant pas un franchisé d’en prouver le caractère abusif dans certains cas. Comme le diable dans les détails, l’abus se niche souvent dans les modalités d’une clause.

A titre d’exemple, la clause d’agrĂ©ment qui rĂ©serve au franchiseur un dĂ©lai de 90 jours pour rĂ©pondre Ă  la demande d’agrĂ©ment formulĂ©e par le franchisĂ© confine Ă  l’abus dès lors que le franchiseur n’ignore pas qu’un dĂ©lai aussi long dĂ©couragera le candidat acquĂ©reur portĂ© Ă  renoncer au projet. Dans le mĂŞme esprit, la clause d’agrĂ©ment ne prĂ©voyant aucune obligation de motivation Ă  la charge du franchiseur mĂ©nage Ă  son profit un pouvoir arbitraire susceptible de faire le lit de nombreux abus. Une clause de prĂ©emption permettant au franchiseur de remettre en cause le prix nĂ©gociĂ© et arrĂŞtĂ© entre le franchisĂ© et le candidat acquĂ©reur est tout aussi dangereuse. Enfin, dernier exemple, la clause d’arbitrage peut revĂŞtir un caractère abusif lorsqu’elle est stipulĂ©e Ă  seule fin de museler un franchisĂ©, spĂ©cialement lorsqu’elle prĂ©voit des modalitĂ©s beaucoup trop onĂ©reuses qui s’apparentent Ă  une restriction disproportionnĂ©e au droit d’accès Ă  un juge. Le tribunal de commerce de Paris l’a rappelĂ© dans la cĂ©lèbre affaire Subway[1]. Au demeurant, la Cour de cassation l’a  rĂ©cemment suggĂ©rĂ© : si l’invocation par un franchisĂ© de son impĂ©cuniositĂ© n’est pas, en soi, de nature Ă  caractĂ©riser l’inapplicabilitĂ© manifeste d’une clause compromissoire, une tentative prĂ©alable d’engagement d’une procĂ©dure arbitrale qui aurait Ă©chouĂ© faute de remède apportĂ© aux difficultĂ©s financières allĂ©guĂ©es permet vraisemblablement de rĂ©activer la compĂ©tence du juge Ă©tatique[2]. Gare aux franchiseurs qui refuseraient de faire l’avance des frais d’arbitrage lorsque le franchisĂ© dĂ©montre qu’il n’est pas en mesure de le faire donc !


[1] T. com. Paris, 13 oct. 2020, n° 20170005123, AJ Contrat 2020, 543, obs. J.-C. Roda et F. Buy.

[2] Cass. civ. 1, 28 sept. 2022, n° 21-21.738, D. 2022, 2022, note N. Dissaux. Sur le sujet, voir J. Jourdan-Marques, L’arbitrage à l’épreuve du déséquilibre significatif, D. actu. 29 juill. 2020. C. Jarrosson et J.-B. Racine, Arbitrage et distribution, in Concurrence et Europe, Liber amicorum Laurence Idot, vol. I, Concurrences, 2021, p. 387 et s.

2 – Les clauses grises du contrat de franchise

Les clauses grises sont celles qui devraient faire l’objet d’une présomption simple d’abus ou, pour le dire avec l’article L. 442-1, I, 2° du code de commerce, de déséquilibre significatif. Le conditionnel s’impose au regard de ce texte qui, encore une fois, ne prévoit ni ne renvoie à aucune liste analogue à celle du code de la consommation. D’autres textes sont toutefois de nature à aboutir au même résultat, qu’il s’agisse de l’article L. 442-1, I, 2° du code de commerce prohibant les clauses conférant à l’une des parties un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie, de l’article 1169 du code civil sur l’exigence d’une contrepartie ou de l’article 1194 du même code relatif à l’équité.

Trois exemples illustreront le propos :

  • Imaginez, premier exemple, une clause stipulant le versement d’une redevance publicitaire Ă  la charge du franchisĂ©, gĂ©nĂ©ralement 2 % du chiffre d’affaires, mais qui n’impose pas au franchiseur l’ouverture d’un compte bancaire dĂ©diĂ© ou au moins la possibilitĂ© pour le franchisĂ© d’obtenir les justificatifs de l’utilisation des fonds versĂ©s. Elle alimente alors une vĂ©ritable caisse noire. Une redevance spĂ©cialement affectĂ©e Ă  un but dĂ©terminĂ© doit pourtant servir ce but et uniquement ce but. Le franchiseur ne saurait dĂ©tourner tout ou partie des redevances publicitaires Ă  d’autres fins. Le paiement de la redevance publicitaire peut d’ailleurs ĂŞtre suspendu ou sĂ©questrĂ© entre les mains d’un tiers tant que le franchiseur ne rend pas compte des actions que ces redevances sont censĂ©es financer[1].
  • Le deuxième exemple concerne le site internet marchand de l’enseigne. Le sujet est littĂ©ralement crucial tant la vente en ligne a explosĂ© depuis 2019 et qu’elle est de nature Ă  bouleverser l’équilibre du contrat et le modèle mĂŞme de la franchise. Sujet crucial car le site marchand du franchiseur a le plus souvent un impact nĂ©gatif et gravement prĂ©judiciable pour les franchisĂ©s, relĂ©guĂ©s au rang de simples vitrines[1]. De nombreux franchisĂ©s en tĂ©moignent : leur franchiseur vend en ligne des produits qui ne leur sont pas accessibles Ă  l’achat et qu’ils ne peuvent donc proposer dans leur point de vente. Leurs clients se dĂ©tournent alors des magasins physiques pour acheter en ligne, lĂ  oĂą l’offre est plus attractive. MĂŞme chose lorsque le franchiseur pratique des promotions qui ne peuvent ĂŞtre suivies par un franchisĂ© dont les charges fixes imposent une marge minimum. L’effet est dĂ©sastreux. Dans le secteur du prĂŞt-Ă -porter, les franchisĂ©s sont dĂ©couragĂ©s de constater que leur magasin sont devenus des show-rooms dans lesquels les clients viennent essayer pour acheter ensuite en ligne afin de bĂ©nĂ©ficier de conditions prĂ©fĂ©rentielles. Enfin, lorsqu’un client du magasin franchisĂ© effectue un achat ponctuel sur le site internet du rĂ©seau, il devient alors la cible de nombreuses sollicitations de la part du franchiseur qui s’emploie ainsi Ă  dĂ©tourner le fichier clients du franchisĂ©. C’est une captation de la clientèle du franchisĂ© qui constitue en outre une violation de sa zone de chalandise, n’en dĂ©plaise Ă  la Cour de cassation dont la position adoptĂ©e il y a près de 20 ans[2], est aujourd’hui en dĂ©calage complet avec l’état de l’économie actuelle. Toute clause qui prĂ©voit la possibilitĂ© pour le franchiseur de vendre en ligne sur l’ensemble du territoire devrait ĂŞtre tenue pour une clause grise, prĂ©sumĂ©e abusive donc. Au franchiseur d’établir, le cas Ă©chĂ©ant, que la vente en ligne organisĂ©e dans son rĂ©seau ne se fait pas au dĂ©triment des franchisĂ©s, notamment lorsqu’un partage du chiffre d’affaires digital se trouve organisĂ© dans de justes proportions au regard de la zone de chalandise de chaque unitĂ© du rĂ©seau et lorsque le site n’est pas le levier d’une concurrence dĂ©loyale Ă  l’intĂ©rieur mĂŞme de ce rĂ©seau. C’est assurĂ©ment le contentieux de demain et les juges seront les gardiens d’un juste Ă©quilibre entre la nĂ©cessitĂ© pour la franchise de s’adapter au marchĂ© en ligne et celle de ne pas remettre en cause l’économie du contrat de franchise. Sans jouer les Cassandre, la question vaut en effet d’être posĂ©e : si cet Ă©quilibre n’est pas prĂ©servĂ©, quel sera l’intĂ©rĂŞt demain pour un franchisĂ© d’investir dans un magasin s’il n’est plus qu’une vitrine et le propriĂ©taire d’un fonds dont la valeur est deux Ă  trois fois moindre qu’hier du fait de la vente en ligne ?
  • Enfin, dernier exemple tirĂ© de la jurisprudence relative Ă  la transmission d’un rĂ©seau de distribution. Le contrat de franchise est un contrat intuitu personae qui ne saurait circuler sans l’accord des parties[1]. La règle procède du droit commun des contrats, lequel prĂ©voit que la cession d’un contrat suppose l’accord du contractant cĂ©dĂ©[2]. Elle vaut aussi lorsque la circulation du contrat est dĂ©cidĂ©e par le franchiseur dans le cadre d’un apport partiel d’actifs[3]. Quelle que soit l’hypothèse, ce consentement peut ĂŞtre donnĂ© non seulement lors de la cession projetĂ©e mais aussi en amont, ab initio, dans une clause du contrat cĂ©dĂ©[4]. Cette dernière solution est pourtant contestable en franchise : comment peut-on sĂ©rieusement consentir Ă  une opĂ©ration dont on ne connaĂ®t rien ? C’est une espèce de blanc-seing. La cour d’appel de Paris a d’ailleurs vu dans ce genre de clauses instituant un intuitu personae unilatĂ©ral la source d’un dĂ©sĂ©quilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Sa motivation mĂ©rite d’être retenue[5] : « la Cour observe que la clause intuitu personae n’est prĂ©vue qu’au seul bĂ©nĂ©fice du franchiseur. Or, l’économie du contrat de franchise (litigieux), comme de tout contrat de franchise, suppose Ă©galement une prise en considĂ©ration du franchiseur par le franchisĂ©, qui a fait le choix de rejoindre le rĂ©seau, sur la base d’un certain nombre de critères tels que le concept de franchise, de la notoriĂ©tĂ© de la marque, de la soliditĂ© de la tĂŞte de rĂ©seau, des perspectives de dĂ©veloppement de l’enseigne. Aussi, sans qu’il y ait nĂ©cessairement un changement de personne morale, un changement dans la structure de l’actionnariat du franchiseur ou un changement de dirigeant sont de nature Ă  avoir Ă©galement une incidence sur ces critères de choix du franchisĂ©, tel le rachat par un rĂ©seau concurrent, et bouleverser l’équilibre de son entreprise, ce qui est d’autant plus problĂ©matique dans le cas oĂą en l’espèce, le franchisĂ© ne peut rĂ©silier le contrat Ă  son initiative sans frais ».

3 – Les clauses noires du contrat de franchise

Certaines clauses, enfin, sont totalement injustifiables. Rien ne saurait les sauver, leur nullité devrait être mécanique. Hélas, les juges se laissent séduire par des mantras dont la facilité dissimule la vacuité et qui tiennent tous dans une idée simpliste, selon laquelle la chose signée aurait une force sacrée.

Prenez par exemple la clause dite de porte-fort ou de solidaritĂ©, que de nombreux contrats stipulent de manière insidieuse en première page des contrats, au titre de la prĂ©sentation des parties, lĂ  oĂą personne n’aurait l’idĂ©e de lire un engagement quelconque. Par la grâce de deux ou trois mots, le franchiseur prĂ©tend rendre le principal associĂ© de la sociĂ©tĂ© franchisĂ©e garant de toutes les obligations financières issues du contrat. Rien ne justifie un tel engagement. Le dĂ©sĂ©quilibre est trop grand : d’une part, le franchisĂ© a dĂ©jĂ , pour entrer en franchise, investi une part substantielle de ses Ă©conomies, quand ce n’est pas l’intĂ©gralitĂ© de ce qu’il avait, et s’est dĂ©jĂ  gĂ©nĂ©ralement portĂ© caution personnelle du prĂŞt bancaire souscrit pour lancer son activitĂ©, de sorte que le risque encouru est dĂ©jĂ  maximal ; d’autre part, le franchiseur demeure quant Ă  lui Ă  l’abri de l’écran de sa personnalitĂ© morale.

Autre exemple : la clause de non-concurrence ou de non-affiliation Ă  effet post-contractuel. Tous les contrats ou presque font interdiction au franchisĂ©, Ă  la fin du contrat et pendant une durĂ©e d’un an, de poursuivre dans son local une activitĂ© identique ou concurrente sous une enseigne nationale ou sous sa propre enseigne. C’est Ă  mes yeux la clause qui rĂ©vèle le dĂ©sĂ©quilibre le plus flagrant et le moins acceptable. Ces clauses restrictives de concurrence n’ont pas Ă  figurer dans les contrats car elles nient la libertĂ© d’entreprendre et d’exploiter ainsi que la propriĂ©tĂ© du fonds de commerce du franchisĂ©. Elles n’ont pas Ă  y figurer car elles placent le franchisĂ© dans une situation Ă©conomique aberrante. Projetons-nous en fin de contrat, au bout de cinq ans d’exploitation donc – c’est la durĂ©e classique d’un contrat de franchise – le franchisĂ©, qui le plus souvent subit un non-renouvellement, doit encore payer deux ans de prĂŞt et un an de loyer, les prĂŞts Ă©tant conclus pour 7 ans et les baux commerciaux pouvant ĂŞtre rĂ©siliĂ©s Ă  chaque pĂ©riode triennale. Par ailleurs, il lui faut bien Ă©videmment payer ses salariĂ©s. Comment ? C’est la quadrature du cercle : le franchisĂ© doit tout Ă  la fois assumer les charges de son activitĂ© et ne plus exercer son activité… Cela n’a aucun sens et la clause restrictive de non-concurrence est disproportionnĂ©e, sans mĂŞme Ă©voquer la possibilitĂ© qu’elle offre au franchiseur de rĂ©cupĂ©rer le fruit des efforts du franchisĂ© et de faire main basse sur son fonds.

Les franchiseurs invoquent la protection de leur savoir-faire. Mais justement ! En quoi ces clauses restrictives de concurrence sont-elles nĂ©cessaires Ă  cette protection ? La rĂ©ponse est simple : en rien. Pour protĂ©ger le savoir-faire du franchiseur Ă  la fin du contrat, il suffit de prĂ©voir une clause interdisant Ă  l’ancien franchisĂ© d’utiliser les signes distinctifs du rĂ©seau, une clause de confidentialitĂ© sur tous les Ă©lĂ©ments du savoir-faire et une clause interdisant Ă  l’ancien franchisĂ© d’utiliser les mĂŞmes produits, techniques, appellations, grilles tarifaires et politiques publicitaires, etc. Le contrat interdirait ainsi tout copier/coller du savoir-faire et toute confusion dans l’esprit du public sans empĂŞcher quiconque de travailler et d’exploiter ses biens. Au reste, une lourde clause pĂ©nale peut assurer l’efficacitĂ© du dispositif.

Une telle approche n’est ni théorique, ni utopique. Certains franchiseurs acceptent de jouer le jeu.

II – La promotion de contrats équitables

Cela fait Ă  peu près dix ans que des avocats pro-franchisĂ©s ne se contentent plus de dĂ©noncer les abus. Dans un esprit rĂ©solument constructif, ils proposent d’accompagner les franchiseurs soucieux d’équilibre. Il s’agit de bâtir des contrats respectueux des intĂ©rĂŞts en prĂ©sence. Comment ? Deux leviers d’intervention sont utilisĂ©s. Le premier porte sur le contexte, le second sur le texte contractuel. Optimiser le premier (I), amĂ©liorer le second (2), voilĂ  qui fait toute la diffĂ©rence.

1 – L’optimisation du contexte contractuel

Depuis 1989, le lĂ©gislateur impose aux franchiseurs la remise d’un document d’information prĂ©contractuelle, vingt jours avant la conclusion du contrat de franchise, Ă  tous ceux qui envisagent d’intĂ©grer leur rĂ©seau de distribution. L’idĂ©e est bonne : le franchisĂ© doit s’engager en pleine connaissance de cause. Le dispositif n’en demeure pas moins nettement insuffisant. Ainsi n’impose-t-il pas au franchiseur de remettre les chiffres de son pilote et des autres unitĂ©s du rĂ©seau, ni les coordonnĂ©es exactes des franchisĂ©s, ni les raisons prĂ©cises du turn-over existant dans le rĂ©seau, ni l’existence des marges rĂ©alisĂ©es avec les fournisseurs rĂ©fĂ©rencĂ©s. De nombreuses informations dĂ©terminantes passent donc sous le radar. Cela n’est pas acceptable. Un bon franchiseur n’a rien Ă  cacher. MĂŞme les Ă©checs qu’il a pu subir ont une explication qui vaut d’être donnĂ©e. MĂŞme si elle fait l’objet d’un encadrement lĂ©gal minimum, la phase de nĂ©gociation contractuelle peut donc ĂŞtre optimisĂ©e par l’adoption de bonnes pratiques. Le degrĂ© de transparence d’un franchiseur devrait constituer un bon moyen de trier le bon grain de l’ivraie.

Par ailleurs, le contexte contractuel ne concerne pas seulement la phase de nĂ©gociation du contrat. Chaque franchisĂ© Ă©volue dans un rĂ©seau dont la dimension collective ne peut ĂŞtre nĂ©gligĂ©e. Cependant, le rĂ©seau ne fonctionne pas, ou trop peu, de manière horizontale, c’est-Ă -dire avec la mise en place d’un outil de dialogue interne au rĂ©seau. Trop souvent, un rĂ©seau de franchise se rĂ©sume Ă  une addition de franchisĂ©s isolĂ©s sur leur territoire, sans rĂ©els rapports entre eux. La crĂ©ation d’une association revĂŞt Ă  cet Ă©gard un intĂ©rĂŞt considĂ©rable. Elle est une force pour chacun des acteurs du rĂ©seau et doit ĂŞtre promue avec conviction. Lorsqu’elle regroupe une part significative des membres du rĂ©seau, elle recueillera une multitude d’informations prĂ©cieuses afin de faire Ă©voluer favorablement le fonctionnement, la rentabilitĂ© et la notoriĂ©tĂ© du rĂ©seau. Qui mieux que les franchisĂ©s, quotidiennement sur le terrain, peuvent apprĂ©cier les forces et les faiblesses du concept ? Ils sont aux premières loges pour constater qu’un nouveau produit est un succès, qu’un fournisseur rĂ©fĂ©rencĂ© est un bon professionnel ou encore que la politique de prix prĂ©conisĂ©e par le franchiseur est compĂ©titive.  Ils sont Ă©galement bien placĂ©s pour tirer un signal d’alarme et relayer le mĂ©contentement de clients, la mauvaise perception d’une campagne de communication, les problèmes de qualitĂ© et de livraison de marchandises, la perte de compĂ©titivitĂ© du concept face Ă  d’autres enseignes plus agressives, etc. L’association de franchisĂ©s est donc un formidable porte-voix que le franchiseur a tout intĂ©rĂŞt Ă  Ă©couter et qui pèse sur le contexte d’exĂ©cution du contrat dans le sens de rapports plus Ă©quilibrĂ©s, plus justes.

2 – L’amĂ©lioration du texte contractuel 

Un contrat de franchise équitable est d’abord un contrat expurgé de toute source de déséquilibre injustifié. Il ne stipulera donc ni clause d’engagement personnel du dirigeant personne physique de la société franchisée, ni clauses restrictives de concurrence à effet post-contractuel.

Pour le reste, il prĂ©voira des modalitĂ©s raisonnables : chaque pouvoir du franchiseur doit ĂŞtre contrebalancĂ© par une obligation de motivation ou de justification. Pas de redevance publicitaire sans compte bancaire dĂ©diĂ© et de reddition de comptes par exemple. Pas de clause d’agrĂ©ment sans obligation d’expliquer un Ă©ventuel refus. Raisonnable, ce contrat doit l’être pour tout le monde. Qu’ils procèdent du franchiseur ou du franchisĂ©, l’amateurisme, la dĂ©loyautĂ© et l’opacitĂ© doivent ĂŞtre sĂ©vèrement sanctionnĂ©s.

Le tout est que les choses soient claires et les règles connues d’avance. A cet effet, le contrat attirera d’ailleurs utilement l’attention du franchisé, par l’exigence de mentions manuscrites ou de signatures multiples, sur les principales obligations mises à sa charge. Là encore, la plus grande transparence s’impose.

Enfin, il multipliera les clauses de nature à favoriser un échange permanent et constructif, même en cas de conflit, telle une clause de médiation préalable.

Un tel contrat, rédigé sur-mesure, n’est pas seulement un gage de sérieux, il permet aussi de résorber le contentieux. L’équilibre des intérêts privés sert l’intérêt général. Un contrat équilibré, c’est aussi un juge moins sollicité…


  • [1] Trib. com. Paris, 12 oct. 2021, n° RG 2020000353.
  • [1] N. Dissaux, Les franchisĂ©s, vitrines de la mode ?, D. 2021, 1295.- Voir aussi L. Bettoni, La double distribution : entre vertus et dĂ©viances, CCC, n° 11, nov. 2022, Etude13.
  • [2] Cass. com., 14 mars 2006, n° 03-14.639 : « la crĂ©ation d’un site internet n’est pas assimilable Ă  l’implantation d’un point de vente dans le secteur protĂ©gĂ© Â».
  • [1] R. Pihery, La transmission du rĂ©seau de franchise, AJ Contrat 2016, p. 428 et s.
  • [2] Voir dĂ©jĂ  Cass. com., 6 mai 1997, n° 94-16.335, 95-10.252.- C. civ., art. 1216.
  • [3] Cass. com., 3 juin 2008, n° 06-13.761, D. 2008, AJ 1623, obs. A. Lienhard ; RTD civ. 2008, 478, obs. B. Fages.- Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-16.081, Rev. sociĂ©tĂ©s 2013, 619, note L. Amiel-Cosme.
  • [4] C. civ., art. 1216, al. 2.
  • [5] CA Paris, PĂ´le 5, ch. 4, 5 janvier 2022, n° RG 20/00737.

Ces articles pourraient vous intéresser :